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Préface Deborah Eade
Ce Recueil est basé sur une édition spéciale de Development in Practice (Volume 9, numéros 1&2) qui a été commanditée et assemblée par les rédacteurs et invités Tom Hewitt et Hazel Johnson dOpen University (OU). Sinspirant largement du contenu de deux des cours principaux du programme de maîtrise en Management de Développement de lOU, le volume rassemble une collection insolite dessais et de notions sur les dilemmes éthiques et les conflits réels soulevés par lusage du management du développement dans la pratique.
Ce Recueil reflète lopinion que le développement nest pas lapanage des pays en développement, et que le management dépasse largement le cadre des questions opérationnelles ou bureaucratiques. Par conséquent, le management du développement englobe le management de lintervention assigné à des objectifs sociaux externes dans un contexte de conflit axé sur les valeurs (Thomas 1996 :106). Intervention dans ce sens signifie lexercice dune influence sur des processus sociaux, plutôt que lutilisation des ressources pour une réalisation directe des objectifs. Les objectifs sociaux externes sont accomplis par des actions appartenant à la sphère publique, à lextérieur dune organisation donnée plutôt quà lintérieur. Les objectifs sociaux sont, bien entendu, souvent controversés : les opinions diffèrent tout aussi bien sur leur nature que sur les moyens de les atteindre. Puisque les acteurs sociaux individuels disposent rarement dun contrôle total sur un processus de développement donné, le conflit axé sur les valeurs est un élément intrinsèque du management de développement.
La définition de la politique de développement et sa transposition ultérieure en pratique constitue un ensemble de processus pas seulement des intrants et des extrants tangibles qui sont eux-mêmes façonnés par les relations et les dynamiques entre une multiplicité dintérêts, qui sont à leur tour représentés par les organisations et associations étatiques et non étatiques. Les politiques et les stratégies sont les produits des interrelations entre les pressions et les processus : laction politique (surgissant des mouvements et des idées) ; laction de létat (influencée par la première) ; laction politique non étatique ; et les réponses privées. Ces pressions et ces processus sont actualisés au sein des institutions (normes, valeurs et pratiques) qui en filtrent et orchestrent les résultats. Cest seulement, par conséquent, rétrospectivement que nous pouvons découvrir la(es) stratégie(s) qui ont émergées.
La négociation sur les politiques générales est au cSur de laction publique pour le développement. Par conséquent, les managers du développement et leurs organisations représentent autant un élément calculé et central de laction publique que les autres acteurs; ils nagissent pas sur le développement simplement de lextérieur. Et bien que la nature incertaine de laction publique et de ses résultats ne permettent pas une évaluation précise de lexpertise requise, les managers du développement nécessitent des compétences et une perception particulière pour aborder les tensions, conflit et (re)négociations et y répondre (Wuyts 1992 :280). La question de management pour le développement opposé au management du développement, et de savoir sil existe vraiment un caractère spécifique du management de développement est exploré par Alan Thomas, dans un document qui sert de tremplin à certaines des idées et pratiques centrales qui figurent dans ce Recueil, en particulier les suivantes :
Le management de tâches spécifiques dans les interventions de développement. Cela peut inclure la conceptualisation de ces tâches et des modalités dutilisation des outils et des techniques dans une démarche qui sappuie sur les processus (voir Simon Bell et David Wield) ; ou cela peut être des approches vers un développement de durabilité institutionnelle par la négociation dagendas dinterventions par les parties prenantes dans des programmes de développement (voir Hazel Johnson et Gordon Wilson). En complément, les thèmes du document un Jour dans la vie dun manager de développement énumèrent certaines des difficultés fréquentes ou inhabituelles rencontrées dans le management des activités de développement , tandis que les documents de John P Grierson et Ato Brown et Marielle Snel examinent ce type de négociations dans le contexte de la prestation de services publiques.
Management orienté vers les idéaux de développement. Des chapitres sur toute une série de thèmes et de pratiques, tous basés sur des expériences du monde entier, décrivent les tensions entre les idéaux de développement et les réalités de la pratique. Ramya Subrahmanian analyse certaines des contradictions inhérentes aux tentatives de décentralisation des services de prestation de léducation primaire en Inde, demandant ce quil se passerait si les préférences locales sopposaient aux intérêts des politiques ?, tandis que Dorcas Robinson explore larène politique des services de prestation des soins de santé en Tanzanie et demande si les différents agendas et acteurs peuvent en fait collaborer à un programme daction efficace. Jo Chataway et Tom Hewitt franchissent la barrière Nord-Sud en comparant les expériences de la Pologne et de la Tanzanie dans leurs tentatives respectives de développer des approches non-linéaires, centrées sur lapprentissage au changement technologique. Des textes plus sommaires sur les difficultés et les réalisations dans la recherche dune orientation du management vers les idéaux du développement incluent les documents de Richard Pinder, Norma Burnett, Purna Sen et Lina Payne et Ines Smyth.
Management dans un contexte de développement. Le management des organisations de développement à la recherche dobjectifs sociaux externes, et peut-être de représentation ou de revendication de certaines valeurs, est au centre dune autre série détudes de cas. Dans le cas du Bangladesh, David Lewis and Babar Sohban examinent sil est possible détablir la confiance entre les donateurs bilatéraux et leurs récipiendaires, les ONG du Sud, et les défis que les ONG du Nord doivent relever dans le contexte de lexpansion de laide officielle directe aux ONG du Sud. Michael Bailey aborde le problème des collectes de fonds locales pour les organisations de société civile au Brésil. Comment peuvent-elles augmenter et diversifier leurs revenus, et au prix de quels compromis ? Quel rôle les donateurs étrangers et les agences daide jouent-elles dans la promotion dune autonomie financière pour les organisations du Sud ?
Cette dernière série de documents en particulier nous rappelle que la question des ressources, surtout de largent sa provenance, sa conditionnalité, son montant, ses bénéficiaires, ses objectifs et la durée de sa disponibilité ne sont jamais dissociées de lindustrie du développement, et par conséquent du management de développement. Pour des organisations qui dépendent de ressources externes, cela peut se résumer à un management de la pénurie : comment conserver son intégrité et ses valeurs fondamentales quand elles sont continuellement érodées par une insuffisance de financement, ou par la conditionnalité imposée par les donateurs ; et comment être aussi efficace que possible quand les ressources sont inadéquates et la durabilité est aléatoire. Pour ceux qui sont responsables de lallocation des ressources et/ou de la gestion des budgets de subventions, la question est de savoir comment gérer le pouvoir qui dérive dune prospérité relative : comment définir les valeurs fondamentales et les idéaux honorables en faisant un choix entre des demandes compétitives- décisions cruciales qui vont affecter lavenir entier dune autre organisation, et comment être efficace quand les relations de pouvoir obscurcissent la conception de lenjeu pour les organisations bénéficiaires dont la survie et la direction sont menacées. Bien que ces dynamiques soient toujours présentes dans les rapports qui existent entre quelquun qui donne et quelquun qui reçoit, elles sont particulièrement marquées dans le contexte de ce que lon appelle aujourdhui lindustrie du développement. Alors quà cette industrie participent un grand nombre dacteurs des gouvernements aux organisations de base, des multinationales aux petites entreprises, des groupes de réflexion universitaires aux groupes proposant des changements radicaux les ONG (internationales) se distinguent par leurs efforts de réconciliation des différences entre le Nord et le Sud et, dans un certain sens, par leur volonté dinterpréter les tensions inhérentes à cet exercice. (ici, les termes Nord et Sud servent de substituts aux institutions qui ont une position de pouvoir et celles qui en dépendent dune façon ou dune autre, et ne représentent pas seulement les pays industrialisés et en développement. Il est important de se souvenir quil y a plusieurs milliers dagences du secteur bénévole dans le monde entier qui assurent lacheminent des subventions gouvernementales ou des donations publiques vers les secteurs marginalisés ou démunis de leurs propres sociétés, tout en cherchant à influencer les politiques publiques et sensibiliser lopinion publique). Dans le contexte spécifique de laide, toutefois, les ONG internationales peuvent simplement choisir de transférer les normes, les valeurs et la culture du Nord au Sud. Mais en tant quorganisations de société civile de plein droit, les ONG du Sud et leurs homologues peuvent projeter vers le Nord une image critique reflétant la perspective des marginalisés.
Dans larène plus générale du développement, les ONG internationales presque par définition, recouvrent les trois domaines principaux de management de développement auxquels ce Recueil sintéresse : à savoir, le management de tâches spécifiques dans les interventions de développement (par exemple, service-prestation), le management qui est orienté vers des idéaux spécifiques (comme il sexprime dans les déclarations de missions et les politiques générales des ONG) et le management dans un contexte de développement. En raison de ce que les ONG nous montrent de linfluence mutuelle entre les divers aspects du management de développement et la chaîne de laide, Tina Wallace débute avec des réflexions constructives sur lévolution du management de ces différents rôles et des tensions qui sensuivent. Au cours des années 1960 et 1970, quand le secteur des ONG de développement était plus restreint, moins compétitif et plus volontariste de nature, le management était souvent perçu comme un terme péjoratif ; dans le meilleur des cas, sans réelle pertinence, dans le pire des cas, incompatible avec un engagement certainement pas une motivation suffisante pour le supporter moyen à collecter des fonds, faire des marches sponsorisées ou encore répondre aux appels et aux slogans[i]. Toutefois, avec une augmentation de la concurrence pour la répartition des donations publiques, et une intensification de lacheminement de lassistance officielle par leur entremise à partir du milieu des années 1980 et ensuite, le secteur des ONG a éprouvé la nécessité de se professionnaliser[ii]. Cela a coïncidé avec une période au cours de laquelle les certitudes qui avaient servi de phare à pratiquement toute la pensée daprès-guerre sur le développement commençait à se désintégrer en même temps que le mur de Berlin, et chaviraient ensuite dans le raz de marée de la mondialisation économique, le désengagement du rôle de létat, et les avances en technologie de linformation. La rapidité et lampleur du changement des rôles du gouvernement et du secteur privé, ont contraint toutes les agences de développement y compris les ONG à réexaminer leur propre raison dêtre et leur direction. Le corporatisme, la planification stratégique, et la responsabilisation formelle ont été mis à lordre du jour ; un moyen de contenir si ce nest de comprendre les environnements complexes dans lesquels le développement et les programmes humanitaires devaient dorénavant fonctionner. Ayant découvert un style particulier de management dentreprises, toutefois, de nombreuses ONG du Nord et dagences de développement officielles ont commencé à rechercher des directives spirituelles et pratiques non seulement dans lunicité de leur expérience multiculturelle, mais dans les orthodoxies du secteur à but lucratif (Powell et Seddon 1997). Lironie est que les nombreux observateurs et initiés ont peur quen se chevillant si fermement au mât de la planification stratégique et aux approches dirigées par le marché, les ONG risquent denvoyer leurs valeurs centrales et la capitalisation de leur sagesse leur spécificité - par-dessus bord.
La récognition par les agences de développement de la nécessité de gérer les individus et les ressources pour être efficace, a été une amélioration appréciable comparée aux systèmes D de lère précédente. Le management du développement signifie exercer des choix, ce qui ne peut se faire que si les rôles des décisionnaires sont clarifiés et si la culture organisationnelle (et les structures) encouragent la responsabilisation et la transparence. Les hypothèses et les valeurs doivent être remises en question : lautosuffisance nest pas une option pour les ONG, pas plus quelle ne lest pour les entreprises qui doivent se disputer la place de marché, ou pour les gouvernements qui doivent rendre des comptes à leur électorat. Mais comme Tina Wallace (1997) la suggéré, lenvironnement turbulent auquel leur conversion à un certain style de professionnalisation a été la réaction a été éclipsé par la bourrasque des changements culturels et structurels, des révisions stratégiques, et souvent par les fuites de personnel que beaucoup dONG internationales continuent à sinfliger.
La question est une déquilibre aussi bien que de direction générale. Une institution en bonne santé ne peut autoriser les valeurs quelles revendiquent à devenir un écran de fumée dissimulant une performance incompétente et insuffisante. Pas plus, toutefois, que les agences de développement, gouvernementales ou non, ne devraient autant simmerger dans leur propre management au point de ne plus savoir où se situer sur la scène globale. Les réputations peuvent se faire et se défaire, dans un environnement de plus en plus compétitif, et les agences de développement doivent maintenant cultiver aussi bien une image publique particulièrement visible que la recherche de lexcellence. En conséquence, même les agences multilatérales et des Nations Unies les plus connues investissent dimmenses ressources dans des rapports annuels prestigieux, effrayés à lidée que, comme le dit Michael Bailey, les talents cachés sont de courte durée.
Mais quand la recherche de publicité devient-elle une fin en elle-même ? Dans quelle mesure les ONG et les autres agences de développement pensent-elles encore quelles devraient travailler à leur propre extinction, ou plutôt rechercher activement la transformation de leurs relations avec leurs homologues locaux en partenariats authentiques? Sans la certitude des valeurs pour les informer, la planification et lévaluation deviennent rapidement des fins bureaucratiques en elles-mêmes. Les processus perdent alors leur dynamisme, les documents sont perçus comme la réalité, et laide devient synonyme de développement. Trop facilement, le management est simplifié en managérialisme. Abordant ces tensions, Tina Wallace demande jusquà quel point les méthodes qui ont été introduites du secteur des affaires commerciales sont appropriées, ou même compatibles, avec les valeurs daccession à lautonomie et dengagement en faveur de la justice sociale que les ONG ainsi que les autres acteurs sociaux voudraient revendiquer. Peut-être seule lhistoire sera-t-elle en mesure de révéler pourquoi les agences de développement en général et le secteur des ONG en particulier, ont à la fin du vingtième siècle fait preuve dun tel scepticisme collectif envers leur unicité; et dune telle incapacité à exploiter leur expérience personnelle, leurs valeurs et idéaux comme une base sur laquelle elles pouvaient créer des outils de management de développement leur permettant dapprofondir et délargir leur impact et den assumer lintégralité de la responsabilité.
Bien que le management ait été caricaturé comme étant un processus directif et bureaucratique, celui-ci est essentiellement un processus daction utilisant les meilleurs moyens disponibles. Toutefois, ce Recueil montre que le développement sapparente plus à la confusion provoquée par les interventions pour le changement, à limportance des sentiments et des intuitions, aux incertitudes et aux risques à prendre, aux réponses au conflit et à la diversité, à ce qui nest ni exprimé ni visible quil ne rapporte à létablissement de faits et dindicateurs objectivement vérifiables, de réalisations quantifiables, ou encore à la réduction de la réalité à des formules intitulées projets. Le management de développement sintéresse donc, non pas à lexercice du contrôle ou à compter les haricots, mais à la recherche dune action basée sur la compréhension de linterrelation entre les processus de changements et le pouvoir, et des moyens de façonner au mieux ces processus pour quils puissent bénéficier tous ceux qui sont exclus du partage des ressources et des prises de décisions.
Deborah Eade (Oxfam GB, Tom Hewitt (the Open University) et Hazel Johnson (The Open University).
Notes
(1) Une exception notable est le Réseau de Management des ONG, qui a débuté dans les années 1980, bien avant que la plupart des agences de développement réalisent quelles avaient quelque chose à apprendre dans ce domaine.
(2) Au Royaume Uni, et en partie à cause des hypothèses historiques sur la nature bénévole du travail charitable, les ONG suggèrent dans leur publicité quelles peuvent fournir le développement à un prix plus bas que les gouvernements et les agences officielles. Ainsi, elles essayent de maintenir les frais généraux quelles déclarent au plus bas, comme si les dépenses de management étaient synonymes dinefficacité. Des frais généraux bas sont toujours un critère selon lequel lopinion publique évalue lefficacité des ONG. Toutefois, la professionnalisation du secteur a entraîné un glissement vers lemploi dun personnel salarié et une distanciation par rapport à lapparence de bonnes oeuvres. Puisque les dépenses de ce type ont toujours été incorporées aux autres budgets, il nexiste pas de chiffres exacts les concernant .. Toutefois, on peut certainement assurer quil ny a pas une seule ONG qui ne dépensent moins quil y a dix ans. Ce ne serait pas problématique dans la mesure où le public donateur considèrerait que largent dépensé sur des salaires compétitifs, des moyens de communication moderne et des voyages dans tous les pays du monde est le meilleur moyen datteindre les objectifs auxquels il a apporté
Références
Lewis, D (1998) les ONG, le management et le processus de changement : modèles nouveaux ou une nouvelle invention de la roue Appropriate Technology 25 (1)
Powell, M. et D. Seddon (1997) les ONG et lindustrie du développement Révision de lÉconomie Politique Africaine (71)
Thomas, A. (1996) Quest ce que le management de développement ?, Journal de Développement International, 8(1) : 95-110
Wallace, Tina (1997) les Nouveaux Agendas de Développement : Changes dans les politiques et procédures des ONG UK, Révision de lEconomie Politique Africaine 24(71) : 35-55
Wuyts. M. (1992) Conclusion : la Politique de Développement comme Processus dans M. Wuyts, M.
Mackintosh, et T. Hewitt, Politique de Développement et Action Publique, Oxford : Oxford University Press en association avec lOpen University.
Management du développement et la chaîne de laide: le cas des ONG - Tina Wallace
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